Raconte...
Raconte…
Le séducteur (extrait de ‘’Les cauris veulent ta mort’’)
Tous les week-ends et jours fériés, la ''bande'', comme on les appelle dans le quartier, s'installe à son lieu habituel, au ''carrefour des trois rues'', sous deux immenses arbres. Pendant que le gros du groupe joue aux cartes, les "abécédaires" lisent et Nakata prépare du thé. Un peu à l'écart, Boubé et Lawali bavardent en sourdine. Ce sont les deux Casanova de l'équipe. Ils prennent rarement part aux activités des autres et préfèrent s'isoler pour mieux se rincer l'œil en regardant passer les belles femmes. Toute passante est minutieusement disséquée du regard par les deux experts qui comparent ensuite les résultats de leur étude. Il en a toujours été ainsi depuis qu'ils se sont connus il y a de cela quatre ans.
Un samedi matin, aux environs de dix heures, la partie habituelle de cartes n'avait pas encore commencé; on attendait un enfant parti chercher un nouveau paquet de cartes. Pour meubler le temps mort, tout le monde imitait Boubé et Lawali.
Comme un fait exprès, une ravissante demoiselle entreprit de traverser leur champ visuel. Les yeux de tous ces mâles désœuvrés se braquèrent immédiatement sur elle. Certainement consciente de l'effet qu'elle produisait sur eux, elle se mit à marcher lentement en mettant au maximum en valeur les parties les plus intéressantes de son corps. Arrivée à leur hauteur, elle leur adressa un "bonjour" d'une voix mielleuse accompagné d'un sourire enjôleur auquel toute la bande s'empressa de répondre.
- Quelle belle croupe ! chuchota quelqu'un.
- Elle n'est pas du quartier, ajouta un autre.
- Cela n'a aucune importance, affirma sûr de lui, Boubé, même si elle est tombée de la planète Mars, je finirai par coucher avec elle, il ne faut pas laisser pourrir un fruit aussi savoureux.
- Doucement, avança Lawali, ne sois pas égoïste. D'ailleurs, crois-tu que tout arbre sert de balançoire à un singe?
- Qu'est ce que tu paries?
- Deux casiers de limonade et quatre douzaines de brochettes.
- Pari tenu. J'ai combien de jours?
- Quatre-vingt dix jours à compter de demain midi.
La bande approuva par de grands éclats de voix, chaque garçon supportant l'un des deux protagonistes.
Aussitôt, Boubé se leva, rajusta son pantalon, redressa le col de sa chemise, essuya rapidement ses souliers et entreprit de rattraper la fille.
A quelques mètres d'elle, il siffla; elle n'y prêta pas attention. Arrivé à son niveau, il lui barra le passage:
- Ma sœur, à ton âge, tu as des soucis au point de ne pas entendre un appel à cinq mètres?
- Je n'ai aucun souci et personne ne m'a appelée. J'ai seulement entendu quelqu'un siffler, j'ai pensé qu'il appelait son chien.
- Le chien en question est le plus beau de tous les êtres de cette planète. Je m'appelle Boubé Maissommata, ingénieur des travaux publics de profession. Peut-on connaître votre joli nom?
- Zalia Kerboko, terminale A, lycée des jeunes filles.
- Bien, bien, enchanté. Tu es merveilleusement bien bâtie, tu as un arrière-train splendide.
- Je le sais; le devant l'est aussi. Ce n'est pas de ma faute, je me suis découverte comme ça à ma naissance. C'est peut être un don de la nature.
- Je vois que tu sais parler. Je ne voudrais pas te baratiner, mais seulement te déposer où tu te rends; c'est très dangereux de laisser une aussi belle demoiselle marcher en ville, elle risque de provoquer des accidents, étant le point de mire de tous les conducteurs de sexe masculin.
- Je ne savais pas qu'il y avait des individus aussi soucieux du maintien de l'ordre public!
De sa voiture, il s'efforça de convaincre la fille, mais celle-ci sut éviter adroitement tous les pièges.
Il ne se découragea point, l'expérience lui avait enseigné de ne jamais être pressé dans la conquête d'une femme. De toute façon, il n'avait rien à craindre: jusqu'alors, aucune fille ne lui avait tenu tête longtemps. La foudre qui abat les rochers n'échoue pas devant un simple bananier.
Depuis ce jour, Boubé ne manqua aucune occasion de rendre visite à Zalia, sans toutefois pouvoir la faire sortir malgré de savantes et alléchantes propositions. Il insista longuement un soir pour qu'elle aille chez lui, ne serait-ce que pour quelques minutes; elle refusa, répliquant que: "si une chèvre se présente d'elle-même à l'abattoir, c'est qu'elle souhaite mourir". Boubé se mordit les lèvres et murmura: "la nourriture du crapaud ne monte pas dans un arbre". Malheureusement Zalia avait entendu et ne se gêna pas de rétorquer: "Ou vous êtes sage ou vous avez lu trop de livres. Tout compte fait, vous paraissez assez intelligent pour voir tout le risque qu'encourt un singe à vouloir prendre un porc-épic pour son tabouret".
Sa réputation de séducteur infaillible était cette fois en jeu. Rien ne pouvait entendre raison à Boubé, surtout qu'il ne lui restait qu'une vingtaine de jours. Le délai tendait vers sa fin …
A suivre …